Si le problème de la rente a plusieurs fois été remonté et débattu, celle-ci reste nénamoins en place car elle est synonyme de différence entre pairs. Cette différence ne devra néanmoins jamais être inégalitaire et le mérite seul devra être à la base de ses fluctuations. A un Litenscaler qui me demandait s'il n'était pas préférable de retirer la rente au profit d'une ouverture des extras à chacun, je répondis que ce manque était générateur de dépassement et que notre société avait bien besoin de se surpasser pour un jour pouvoir évoluer.
Un peu d'histoire...
Les dernières années des anciens hommes furent le théâtre de changements majeurs dans leur société. Le 20ème siècle connut deux crises économiques majeures: la « Grande Dépression » et la « crise pétrolière ». Le 21ème siècle, lui, débuta par la « Grande Récession » et enchaina avec des secousses de plus en plus fréquentes et importantes jusqu’au fameux « Big one » en 2047. Contrairement à toutes les crises précédentes, le « Big one » rendit impossible toute reconstruction par des voies conventionnelles.
Au même moment, le décryptage du signal commençait à produire des effets concrets en permettant à de nouvelles technologies de changer profondément la société. D’autres sources d’énergie voyaient le jour, changeant la géopolitique mondiale. De nombreux problèmes liés à la santé et à l’inégalité sociale semblaient pouvoir trouver une issue via ces nouvelles découvertes. Et personne ne pouvait garder pour lui seul les révélations scientifiques et techniques de ce signal venu du fin fond de l’univers.
Si bien que l’humanité ne voulut tout simplement plus se reconstruire d’une manière classique. La situation économique fut tellement catastrophique que même la guerre fut impossible. Plusieurs nations, autrefois incontournables sur la scène mondiale, étaient au bord de la faillite. Aucun moyen de produire, entretenir et diriger une force militaire et aucun homme tenté de se battre pour piller son voisin.
La société mutait profondément et personne ne savait ce qu’elle deviendrait.
Certains pays furent, malgré tout, les premiers à sortir de cette période de chaos grâce à un système économique novateur basé sur les personnes et non plus sur la finance. Autrefois fragile et ridicule dans un espace mondialisé, il avait l’avantage de segmenter à l’extrême leur économie. Ce système s’appelait l’Utanscale (U-scale en abrégé) et c’est une des rares bonnes choses que nous a légué ce siècle.
Une autre manière d'entreprendre
Utan Skala, qui signifie « sans ampleur », est un système basé sur un développement radical de l’économie locale à échelle « micro » et sur l’abandon quasi total d’une économie d'État. Une utopie libérale qui, tout en servant les individus, sortit les pays concernés du grand jeu économique mondial et leur décroissance spectaculaire fut la risée de beaucoup et l’utopie de certains.
Mais ce modèle, baptisé Utanscale, s’imposa finalement partout car il pouvait soulever une force jusqu’alors insoupçonnée, celle de la masse des individus et non pas celle d’une petite partie se considérant comme une élite.
Pratiquement
Sans les développements de l’informatique et leur fameux « Internet », jamais ce système n’aurait été applicable avec succès. C’est le développement fulgurant des plateformes de financement participatif qui inspira cette nouvelle manière de créer une entreprise. Quand un individu avait un projet, il levait des fonds localement auprès d’autres individus tentés de l’aider ou intéressés par le service qu’il proposait.
Il fallut parfois ratisser très large et intéresser énormément de monde pour, petit à petit, réunir les sommes nécessaires. L'État recourait également à cette méthode pour une multitude de programmes. Les banques disparurent quasiment du paysage économique et furent recyclées dans le conseil à l’investissement, l’assurance mais également la protection des espèces et biens de valeurs. Dans leur sillage, tout le système boursier s’effondra. Pour être plus précis, il se recycla principalement dans des plateformes de financement privé.
Mais la seule grosse innovation fut la volonté des peuples de ne plus développer l’économie au-delà du raisonnable afin de maitriser un système d’une ampleur réduite et, si possible, locale. On appela ce phénomène l’humanisation. Il suivait l’ère de la mondialisation. En très peu de temps, l’homme s’habitua à une économie plus « pratique », compartimentée et compréhensible par tous. Rapidement, une reconstruction globale se mit en place.
Des projets à l’échelle mondiale, tels qu’un plan ambitieux d’exploration spatiale, furent mis sur pieds grâce au financement de milliards d’individus. Alors que l’Humanité était à l’aube d’une nouvelle ère prometteuse et de découvertes extraordinaire grâce au signal, elle lança la mission Oméga.
Et nous perdîmes sa trace.
L’Utanscale chez nous
Le financement participatif
Depuis notre Renaissance nous avons toujours utilisé ce modèle économique qui fait maintenant partie de notre imprégnation.
Par contre, contrairement aux Premiers, notre technologie n’est pas vraiment adaptée à une utilisation ambitieuse et efficace de ce système. Là où ils avaient de nombreuses plateformes en réseau reliant l’ensemble des individus, nous ne disposons que des relais locaux: les scalers.
Les communications via Intrinet ou via réseaux locaux sont extrêmement coûteuses, et même si celles-ci peuvent être instantanées, il n’est pas possible de les utiliser pour soutenir une économie trans-arches d’ampleur. C’est pour cela que le système U-scale est très adapté à nos contraintes et est à ce jour la seule possibilité viable.
Les scalers sont donc les garants de l’Utanscale. C’est par eux que transite tout projet et ce sont eux qui permettent de les rendre réels, une fois « financés », en amenant les ressources nécessaires à leur réalisation. En effet, on utilise toujours le terme « financer », même s’il s’agit plus d’une preuve d’un réel intérêt commun que de placement d’argent dans une entreprise humaine.
Une fois un projet validé par l’Utanscale, il peut se mettre en place et ceux qui auront participé à son financement pourront siéger au conseil d’administration du projet afin de l’influencer et de s’assurer qu’il remplisse toujours l’objectif initial ou, mieux encore, l’améliore. Ceux qui le gèreront au quotidien sont souvent à l’origine du projet et ont le plus de participations dans les fonds de départs, mais ce n’est pas une règle absolue.
On le voit, ce sont des initiatives locales, par et pour les habitants d’un secteur ou d’un outpost qui forment l’essentiel de l’entreprenariat de notre société.
L’Utanscale est autant le nom du système économique que le nom de la patrie qui gère cet aspect de notre société. Certains définissent également notre système comme étant de type « communitaliste ». C’est souvent le cas lorsqu’on veut mettre en avant l’aspect social et éthique de ce dernier.
Le communitalisme
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut prendre en compte certaines de nos contraintes et les conditions de notre expansion. Sans rentrer dans trop de détails, notre alimentation spécifique est à la base de ce qui est aujourd’hui appelé le socle commun. La découverte tardive des arches est à la base d’un modèle homogène et global et notre infertilité est à la base de l’abolition de la notion de patrimoine.
En effet, la protéine CLP6 (ou Clip en abrégé), est nécessaire à notre alimentation et ne se trouve pas dans les aliments qui étaient produits pour les Premiers. D’un goût neutre à notre palais, cette protéine était au départ fournie que sous forme de bouillie via les archogénérateurs de la Source. On ne peut pas dire que les premières années furent synonymes de plaisir gustatif. Les récits des Renaissants en 2102 en attestent d’ailleurs.
Dès notre Renaissance, nous avons donc dû trouver un moyen de nous organiser autour d’un point central de distribution de nourriture. Cela force donc à mettre en place un système qui évite que des conflits s’amplifient et qui force le consensus, voire l’unanimité.
Pour beaucoup, et je suis de ceux-là, ce détail est à la base de ce qui forme aujourd’hui encore notre relative unité. Bien entendu, nous avons trouvé sur certains mondes des arches des lichens contenant la CPL6. Dès lors on aurait pu imaginer que notre société se disperserait mais il n’en est rien car ce qui fut à l’origine de notre vision commune est aujourd’hui insignifiant par rapport aux autres bienfaits que nous apportent notre modèle.
Et c’est en cela que la reconquête des arches arriva à un moment où nous avions déjà une société juste et équitable fonctionnant parfaitement. Nous avions fait notre maladie de jeunesse avec la Grande Dame et nous nous étions arrêtés sur un modèle fort. L’établissement de la vie humaine dans les arches fut une simple prolongation de nos valeurs et l’Utanscale permit de garder cette indépendance locale (projets) tout en conservant la solidarité à l’échelle de l’Humanité via le socle commun.
En ce qui concerne l’absence de patrimoine, c’est la suite logique d’une absence de parents et de l'impossibilité d’avoir des descendants. Après la période difficile de nos débuts, nous avons voulu éviter à tout prix ce qui pouvait nous relier à nos pairs. C’est ainsi que nous interdîmes toute possibilité d’héritage, qu’elle soit en faveur de son futur pair ou d’autres individus. Cette impossibilité de léguer ses biens permit l’émergence de notre notion de biens « usufruitiers ». En effet, lorsqu’on achète un bien non consommable, on achète le droit de l’utiliser le temps de sa vie. Au terme de celle-ci le bien reviendra à la communauté qui le remettra à disposition d’un nouvel acquéreur. Nous ne possédons donc pas vraiment de biens, tout est à tout le monde mais nous en avons l’usufruit le temps de notre vie. Cela évite de tomber dans les travers de nos ancêtres quant à l’envie d’accumuler les richesses sans vouloir les utiliser ni les partager.
La plupart du temps, lorsqu’il s’agit d’un bien coûteux ou rare, Technocorp procède à la pose d’un SIDlink pour éviter tout problème de propriété.
Le socle commun
Le terme socle est bien choisi car il s’agit véritablement de la base de notre modèle économique mais aussi sociétal. Ce terme reprend tout ce que la société donne à l’individu en échange du fait qu’il y trouve sa place active. Le plein emploi rend donc possible le maintien du socle commun.
Cela comprend essentiellement ce qui est défini comme droits fondamentaux dans la Tétralité (nos lois universelles) à savoir :
- Le droit à être nourri
- Le droit à être logé
- Le droit au loisir
- Le droit à bénéficier des services de base de tout autre membre de la société
Ces quatre activités sont donc fournies gratuitement dans tout secteur, du plus petit outpost à la plus grande mégapole. Elles constituent le socle commun que tout être humain est en droit d’attendre de la société. Le dernier fait bien entendu état du travail de chacun et de ce que l’on est en droit d’attendre de la part des patries et des agences. On ne paiera pas une conciliation de la Covenance, ni la réparation de matériel usuel par Technocorp (mais on paiera les éventuelles pièces à changer), on ne paiera pas non plus l’enregistrement d’informations auprès de DataLog, etc. Globalement, on ne paie pas lorsqu’on demande à l’autre d’effectuer son activité habituelle.
La rente
La rente est ce que les Premiers appelaient un salaire. Mais au contraire de ce qui se pratiquait chez eux, la rente représente quelque chose de plus élevé qu’une valeur financière.
En effet, comme cette rente est en relation directe avec votre occupation (ou vos occupations) dans notre société, cette dernière vous remercie en vous gratifiant d’une rente pour montrer la reconnaissance qu’elle a envers vos services. La rente est donc directement proportionnelle à l’effort fourni pour aider l’ensemble de la communauté.
Contrairement aux usages des Premiers, la rente représente en fait un crédit que vous pouvez utiliser pour votre loisir. Ce « petit plus » qui vous permet de vous offrir de temps à autre un repas différent de celui de base, des produits haut de gamme dans les Bulles ou encore de vous lancer dans un projet utile pour la communauté via l’Utanscale. Comme l’essentiel de vos besoins est couvert par le socle commun, la rente reste marginale mais est aussi systématique. C’est la Source qui verse les rentes selon les informations transmises par les patries ou les agences.
Au-delà de la rente, il y a ce qu’on appelle les extras et ils couvrent toute activité que vous feriez et qui vous demanderait clairement de prendre sur vos loisirs ou requerrait un investissement en temps et physique qui sorte de l’ordinaire.
Tout service ou produit sortant de cet ordinaire est donc considéré comme un extra et demande donc une rétribution adéquate. Par rétribution, on entend transfert de crébits, troc, ou tout autre arrangement. Il n’est pas normal de demander quoi que ce soit en échange du socle commun, mais il est tout à fait logique de le demander pour ce qui en sort.
On paiera par exemple la location d’un bioroïde ou de ses pièces de rechange, la consommation de substances rares dans la Bulle, l’achat de nouveau matériel destiné à une activité privée, le voyage vers une autre planète, etc.
Le crébit (ou crebit) -
La seule monnaie utilisée, trans-arches, est le crébit (dérivé du Bitcoin, ancienne monnaie non souveraine du début du 21ème siècle) qui s'est imposée petit à petit comme une valeur refuge et stable.
La plupart du temps, l’échange de service prévaut (« je t’en dois une ! »). Vient ensuite le troc lorsqu’on est hors des zones sécurisées et avec des gens qui ne font pas partie de son secteur, puis les virements de crébits via les consoles locales.
La perversion
A une époque où tout le nécessaire (manger, boire, dormir, se cultiver, se distraire,…) est gracieusement fourni par la société et où la seule obsession est la survie et la recherche de ses créateurs, la quête du « plus » est certes présente chez certains individus, mais de manière minoritaire.
Au niveau culturel, les individus qui imposent une richesse trop ostentatoire sont plutôt mal vus qu’admirés. C’est l’individu qui se contente de ce que la société lui offre qui est un modèle, pas celui qui gaspille les ressources limitées de sa communauté pour le seul plaisir de posséder.
D’ailleurs l’accumulation sans but est une pratique contrôlée par l’Utanscale qui veillera toujours à proposer des utilisations profitables à la société à ceux qui auraient des difficultés à le faire.
Souvent, l’Utanscale met en relation plusieurs personnes ayant des moyens mais pas d’idées pour, par exemple, acheter un véhicule ou ouvrir un nouvel établissement permettant l’acheminement d’un nouvel individu dans la société (vu que l'on crée de l'emploi). Ce sont les services proposés qui déterminent le nombre d’individus dans un secteur et non l’inverse.
Définitions
L’Utanscale est la patrie qui gère l’activité économique dans toutes les arches.
- Les scalers sont les membres actifs de cette patrie. Ils gèrent les projets en financement et statuent en cas de problème lié à l’économie. Ils ne s’occupent que de la gestion locale de l’économie.
- Les litenscalers sont affiliés à cette patrie pour pouvoir exercer une activité économique mais ils ne s’occupent que de leurs activités, pas de la communauté.
- Les aktigears sont les personnes qui ont financé un projet. Pas besoin d’être membre de la patrie. Ils font partie du conseil d’administration du projet.
Chaque individu peut être impliqué dans de très nombreux projets qu’ils soient commerciaux (un magasin, un atelier technique, une exploitation minière,…) ou d’utilité publique (un service d’évacuation des déchets plus compétent, une éolienne, …).
Le conseil des aktigears est simplement une assemblée générale. Son utilité est également de créer du lien social entre différents individus. Comme les loisirs sont moyennement développés, faute de monde et d’infrastructure, les individus aiment se réunir pour discuter des développements à apporter à l’une ou l’autre activité. Les aktigears sont donc impliqués dans des discussions avec d'autres personnes du même secteur concernant des projets communs pour lesquels ils ont investi.